On voulait aller au cinéma, tenter au hasard, découvrir un film. Et manger beaucoup de pop-corn, mais c'est tout de suite moins culturel. L'affiche était belle, la réalisatrice reconnue ... Le résumé nous informait bien qu'il s'agissait d'un film d'amour, mais après tout ... Il y avait John Keats, quand même ! Alors Fréneuse est allée voir Bright Star.
Le film est beau. Une lumière, des couleurs magnifiques : de jolies carte-postales pour jeunes filles en fleurs. Ça a le charme un peu désuet des images de
Sarah Kay - fleurs, pastels et jupons de dentelle. Jane Campion a voulu, dans
Bright Star, nous raconter l'amour passionnel et pur qui relia un poète et une jeune fille qui n'entendait rien à la littérature. Dommage, on n'y croit pas : les deux jeunes gens se voient, se plaisent, s'aiment durant des mois sans qu'on sache trop pourquoi. Il lui donne des cours de poésie, elle découvre la beauté de ses vers, lui dispense ses jugements éclairés. Ils ne peuvent se marier, la poésie ne nourrit pas son homme, et ils se consument, se dissolvent, comme des amoureux transis - de carte postale. Puis il meurt, et elle est triste.
Les critiques de presse sont dithyrambiques. Permettez-moi donc, pour une fois, d'être de mauvaise volonté. La partialité de mon résumé parle déjà à ma place. Si j'avais été beaucoup touchée par La Leçon de piano, de la même réalisatrice, Bright Star m'a laissée de glace. Tout d'abord, l'image qui y est donnée du poète est navrante de naïveté. Le poète romantique, en effet, passe sa vie affalé dans des canapés, ou au pied d'arbres en fleurs, l'oeil dans le vague : il cherche sa Muse, il court après l'Inspiration - notez les majuscules. Puis l'Illumination : le poème lui vient, et il écrit, sans hésitation, sans rature aucune, d'une traite, ses plus beaux vers. Qu'on ne s'y méprenne pas : longtemps, les poètes ont servi un discours sur l'inspiration, venue d'ailleurs - expression d'un absolu, cadeau des dieux ... - mais y croyaient-ils eux-mêmes ? Il semble impossible de faire de la poésie sans un travail formel, sur le rythme, les sons, l'équilibre du vers. Bright Star présente pourtant la poésie d'un point de vue romantique, dans le mauvais sens du terme : le poète est un être hyper-sensible qui cherche l'inspiration et s'épuise dans des "méditations" poétiques. Mais point de travail en écriture, jamais : tout le monde sait que la poésie vient d'ailleurs. Ce n'est pas servir l'œuvre lyrique de Keats que de présenter une vision aussi simpliste et aussi limitée de ce qu'est la poésie.
J'ai aussi beaucoup à reprocher à la figure de Keats, jouée par Ben Wishaw. Je n'y ai pas vu le grand poète, avec son sens de la poésie, sa mélancolie profonde, j'ai simplement vu un adolescent amoureux, avec tous les excès que cela pouvait comporter. Et j'ai pensé, devant le grand écran, que faire un film sentimental sur un auteur romantique en prétendant retrouver la fraîcheur des exaltations du poète, c'était encore faire beaucoup de mal au romantisme. C'est renforcer ce cliché qui a la vie dure, et selon lequel le romantisme, c'est l'amour, les déclarations enflammées, et les papillons diaphanes qui volètent tout autour. Non, le romantisme, c'est aussi une violence des sentiments, une confrontation avec le sublime, une forme de morbidité souffrante ... On est bien loin du simple et triste amour bucolique ... Parce qu'on ne croit pas à cette douleur, à cette violence de l'amour, devant ce film : on a affaire à deux jeunes gens, qui n'ont a priori rien en commun, et qui s'aiment, comme ça. Qui souffrent, pleurent, voient mourir des papillons, songent au suicide. Et s'embrassent chastement dans les prés de campagne. En somme, une idylle adolescente, sans tensions, ni - trop - de déchirements. On récite juste des vers de temps en temps - et malheureusement, en VF, ça passe très mal.
S'il est besoin de le rappeler, nous sommes alors au XIXème siècle - début. Et s'il est difficile d'envisager un mariage entre nos deux amoureux, le poids des réputations et des conventions sociales semble bien léger. Parfois, on tente de glisser une remarque, sur le qu'en-dira-t-on, parfois la mère, exceptionnellement transparente, vient gratifier sa fille d'un point de vue mollement réprobateur ... Et c'est tout. Si l'on veut découvrir une passion, qui tente de faire son chemin en dépit des obstacles socio-culturels, il est plus intéressant, me semble-t-il, de voir une adaptation de Jane Austen - et Orgueils et préjugés, à qui j'ai plus d'un reproche à faire, m'a semblé sur ce point plus pertinent et moins naïf que Brigt Star.
Parce qu'il y a une naïveté assez déconcertante, dans la façon dont ce film a choisi de représenter l'amour. Il nous peint une passion pure,éthérée, éternelle - vision omniprésente du sacro-saint "amour de sa vie". Je ne crois pas à l'amour platonique, et n'ai pas réussi à m'émouvoir devant les exaltations de deux êtres qui semblent s'aimer sans se connaître vraiment, et sans se comprendre - et sans nuances, jamais. Ajoutons à cela que chaque personnage s'en tient au type qu'il est sensé représenter, et ne change pas, d'un bout à l'autre du film. La fin arrive enfin, bien en retard - on l'attend depuis si longtemps - et ne résout aucune tension : il est sûr que c'était perdu d'avance.
Alors oui, Bright Star m'a laissée de glace. Il y avait là quelque chose de trop exalté pour moi, et sans que l'on touche, un seul instant, à ces passions dévorantes décrites par nos romantiques, sans que se développe, parallèlement, une réflexion plus générale sur l'amour, la poésie, ou que sais-je encore. C'est un film pour demoiselles, vulgairement, et qui veut nous faire sortir notre mouchoir, en nous disant que tout de même, on aimait plus fort à ces époques-là. Les décors fleuris, les lacs et les sentiers nous proposent l'image fausse d'un âge d'or, où les jeunes filles en robe empire osent donner la main à un prétendant piqué de poésie. Et cela semble tellement faux ... Aimait-on alors si différemment que l'on aimait aujourd'hui ... ?
Keats, lors d'un cours de poésie donné à Fanny, compare la poésie à un lac dans lequel on baigne. Il serait absurde de chercher à comprendre le lac, on se laisse simplement porter par l'onde, lui dit-il - du moins est-ce l'idée, je retranscris de mémoire.
Parallèlement, il serait absurde de chercher à
comprendre ce film : on ne s'y retrouve pas.
Ressentir, dites-vous ? Point de plaisir à rester au beau milieu du lac, on a plutôt peur de s'y noyer.
~ Le commentaire de Rose, plus enthousiaste.