mercredi 16 juin 2010

Où est le Palmipède ?

Ubu Roi à la Comédie Française
Du 2 juin au 15 juillet 2010
(Reprise l'année prochaine)
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Ubu roi, c'est drôle à voir, surtout dans une belle salle. Le premier spectacle, c'est sans doute le public, ce public  mêlé et divers et parfois si comme-il-faut, ce sont  aussi les petits commentaires assénés d'un ton docte, qui se veulent instruits ( et où l'on apprend qu'Ubu roi serait du surréalisme oô) ... Et puis, mieux encore, l'après-pièce ! On n'hurle plus, dans la salle de la Comédie Française, mais à la sortie l'on glisse, l'air condescendant, que tant de potacheries et de vulgarité ... C'est tout de même un peu fort, c'est tout de même un peu trop. Alors en voyant les mines, les discours, j'ai souri, parce qu'un Ubu sans réticences, c'eût été mauvais signe ...

Mais voilà que je commence par la fin ! N'est-ce pas pourtant le début de la pièce qui est dans toutes les mémoires, et concentre les attentes ? Eh bien, Jean-Pierre Vincent fait durer le plaisir et la pièce ne commence pas par le célèbre et attendu juron. Il s'offre le luxe de rajouter un personnage, avatar de l'auteur lui-même - et il fallait bien avouer que l'idée m'avait laissée réticente au départ, même si le résultat m'a semblé tout à fait intéressant. L'acteur, présent sur scène bien avant l'ouverture de rideau, s'avance donc, et à l'image de Jarry, déclame son discours introductif heureusement entendu de tous - Jarry s'était plu à lire le sien d'une voix inaudible. Le rideau s'ouvre  alors, après le fameux : "Quant à l'action qui va commencer, elle se passe en Pologne, c'est-à-dire nulle part." et le silence se fait. Le "Merdre !" - qui fut fort bon, je vous remercie - tardera à venir ; l'acteur ménagera son effet : c'est  après tout l'honneur des répliques attendues.

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Dans les critiques que j'ai pu lire, on reprocha tour à tour à la pièce de se vouloir trop signifiante, et d'être trop potache. Je n'ai pourtant pas vu - reprenez-moi si vous me trouvez naïve - d'images lourdement didactiques. J'ai vu des ajouts, que j'ai trouvés assez pertinents : au monstrueux cheval sur lequel monte Ubu pour aller à la guerre répond un fameux texte tiré de Faustroll sur l'horreur d'une tête de cheval qui pousserait au meurtre ; un Alfred Jarry fera régulièrement irruption sur scène, brandissant bicyclette ou verres d'absinthe, et jouant le rôle que tenait Lugné-Poe lors de la première représentation, brandissant pancartes et annonçant lieux de scène. On aurait pu craindre également la maladresse d'un clin d'oeil aux actualités, aux gouvernements connus - mais Ubu roi garde heureusement son intemporalité un peu floue et son côté carton-pâte. On déplore la grossièreté des gags ? Ne serait-ce pas trahir cette pièce que de l'épurer de son outrance ... ?

Alors quoi ? Ce que j'aurais à reprocher à cette version, pour ma part, ce ne sont ni les ajouts, ni les choix de mise en scène qui m'ont semblé judicieux et drôles. La principale question que j'aurais à poser, c'est le pourquoi de certaines coupes. Déjà, Ubu ne lance aucun ours, ce qui est proprement scandaleux. Plus généralement, une part de mes répliques préférées se trouve malheureusement passée à la trappe à nobles, alors que la chanson du décervelage a eu le privilège d'être chantée deux fois. Et je trouve qu'en somme, c'est dommage, à côté de si bons choix, d'avoir retiré certaines répliques cultes, et peut-être très attendues. N'y a-t-il pas d'autres spectateurs qui, à la lecture de la pièce, se sont arrêtés sur cette curieuse didascalie, "il lui lance l'ours" et qui se sont demandé comment diable on pouvait faire jouer ça ... ? Et avouez qu'il eût été agréable de voir le père Ubu scander "Maintenant je veux faire des lois !" , ou encore "Voiturez le voiturin à phynances !" ...  J'en profite d'ailleurs pour lancer mon petit caillou :  si l'on parle de "coupes" (au pluriel, qui plus est), peut-on encore parler de ... texte intégral ? Or j'ai lu pas mal de fois,des critiques très bien reprocher la longueur de la pièce : en effet, Jean-Pierre Vincent aurait choisi de mettre en scène le texte intégral. Soit.


  
[Note pour plus tard : ne lisez jamais les critiques des autres pendant que vous faites la vôtre, cela vous paralyse.] Au fond, j'aimerais passer aussi pour quelqu'un qui s'est voulu proche du texte, et tant pis si c'est un reproche : j'ai en effet relu la pièce, la veille. Lors de ma première lecture, il y a un temps, je m'étais documentée sur les querelles qui y étaient liées et les questions de mise en scène. Alors ... Peut-être que oui, j'y suis allée, avec cette naïveté-là, et j'ai cherché - parce que c'est ça, au fond, qui m'intéresse - si cela ne trahissait pas ce que j'imaginais comme un "esprit Jarry". Or, Alfred Jarry hantant la pièce, donnant quelques pistes, soulignant , rendant explicite le pastiche et la référence par le clin d'oeil à Hamlet et son Poor Yorick ! ... Or, l'indéfinition des lieux, la mise en scène qui ne fait pas le choix entre la blague et le tragique - de nulle part, la bizarre non-psychologie des personnages, l'outrance et les bêtises, jusque dans leur excès, leurs longueurs ... Eh bien, tout cela, ça m'a paru être fidèle au personnage  ...


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Au final, malgré les petites déceptions mentionnées ci-avant (je ne me remets décidément pas de mon ours.), je garde un bon souvenir de cette représentation. Tout simplement parce que c'était n'importe quoi, que ça ne faisait pas sérieux ... C'était léger et inquiétant à la fois - et, si nous n'étions pas si nombreux, dans la salle, à pouffer et éclater de rire ... Nous étions là quand même.

La plus belle revanche peut-être, c'est, dans le silence, les éclats de rire d'un enfant, lorsque tous les adultes observent le silence, ce sont les protestations de dégoût lors du dîner chez les Ubus ...  Il y avait donc là quelque chose, n'importe quoi si vous voulez, mais quelque chose.


[Et malgré l'inutilité du théâtre au théâtre, 
je voulais préciser que j'avais trouvé les acteurs fort bons : 
coup de gidouille à leurs interprétations 
La prestation de Serge Bagdassarian en père Ubu, notamment, 
m'a parfaitement convaincue et, si j'ose dire, le défi était de taille. ]

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