mercredi 28 avril 2010

Que cela serve d'avertissement ... ?

Mon père (un dur par timidité)
Est mort avec un profil sévère;
J'avais presque pas connu ma mère,
Et donc, à vingt ans, je suis resté.

Alors, j'ai fait d' la littérature ;
Mais le Démon de la Vérité
Sifflotait tout l'temps à mes côtés :
« Pauvre ! as-tu fini tes écritures ?... »

Or, pas le cœur de me marier,
Étant, moi, au fond, trop méprisable !
Et elles pas assez intraitables ! !
Mais tout l' temps là à s'extasier !...

C'est pourquoi je vivotte, vivotte,
Bonne girouette aux trent'-six saisons,
Trop nombreux pour dire oui ou non....

- Jeunes gens ! que je vous serv' d'Ilote !

Jules Laforgue, Des fleurs de bonne volonté - Préface.

lundi 26 avril 2010

Chronique de la violence extraordinaire (II)

Après un petit temps de pause, retournons enfin au musée d'Orsay, pour terminer - continuer, du moins - notre visite, c'est là la moindre des choses ! Je vous avais honteusement laissés devant l'angoissante Vague de Carlos Schwabe. Quelques pas à peine, pourtant et l'ambiance changeait du tout au tout ! En effet, la salle suivante nous présente le crime, tel qu'imaginé dans les années 1880, tel qu'on le représentait, alors, dans la presse à sensations. Sur un mur, les origines : nombre de feuillets contant les horreurs du quotidien - ce sont les occasionnels, ce sont les canards, imprimés pour l'occasion, afin d'informer le peuple, souvent distribués par des crieurs publics.  Avec le temps, le dessin gagne en spectaculaire, et on se plaît, de plus en plus, à détailler les circonstances du crime : il faut informer, bien sûr, mais il faut surtout étonner ... Mais ces petites feuilles, rapidement imprimées, sont à partir de 1850 détrônées par l'essor de la presse populaire (par exemple, Le Petit Journal, et son supplément illustré). Ce qui est drôle, c'est de voir  là, placardée, notre fascination pour le fait divers, pour la violence du quotidien. Les crimes annoncés sont toujours plus horribles, toujours plus épouvantables les uns que les autres, et l'illustration de couverture - en couleur, de plus en plus souvent - se plaît à représenter l'instant fatidique, dans une mise en scène toujours très théâtrale - tout est bon pour piquer la curiosité du lecteur et lui donner quelques frissons. Paradoxalement (et le reproche était alors récurrent), sous couvert d'information, cette presse d'un nouveau type donnait au crime une plus grande médiatisation -et l'on peut penser que l'évocation du châtiment, les commentaires moralisateurs servaient davantage à donner bonne conscience à un lecteur avide de scandale qu'à l'édifier. A côté de la presse à scandale, des dessins d'artistes, notamment les illustrations de Félicien Rops pour Les Diaboliques de Barbey d'Aurevilly et des gravures de Max Klinger (citons par exemple Flagrant Délit) montre que la réalité rejoint parfois la fiction ...


Continuons donc notre chemin ... Pièce suivante : ce sont alors des scandales d'un autre type que Daumier dénonce en caricaturiste. Je me suis arrêtée avec plaisir devant ces chefs d'œuvre d'humour noir, où les hommes de lois, "gens de justice" sont présentés comme d'ambitieux carriéristes bouffis d'orgueil, aveugles et sourds à la détresse de leurs clients. "Vous avez perdu votre procès, c'est vrai ...... mais vous avez dû prendre bien du plaisir à m'entendre plaider" déclare un fier avocat à une famille éplorée. Ainsi la justice est-elle parfois présentée comme une grande machine sans humanité, envoyant de pauvres diables à l'abattoir. Et c'est dans cette veine que se placent les remises en cause de la peine de mort,  les charges contre une justice jugée trop expéditive et inconsciente des réalités sociales. Ainsi, dans la même salle que les représentations de Daumier, d'anciennes éditions du Dernier Jour d'un condamné ou de Claude Gueux reposent sous verre, et tout autour, des dessins de Victor Hugo, tirés d'un ensemble intitulé Poème de la sorcière. Bestialité, avidité : les  expressions des diables, juges, prêtres, et plus généralement Inquisiteurs viennent accuser la cruauté humaine, et sa curiosité de fascination pour les tortures et les exécutions. Mis en regard, plusieurs tableaux représentent, comme celui de Solomon, L'Attente du verdict de la justice : mines fatiguées,  pauvreté manifeste, yeux hagards, signes d'angoisses viennent, par contraste, renforcer l''ironie amère des caricatures. Et les dessins de Steinlen, de Daumier, viennent poser cette question fondamentale, encore brulante d'actualité : n'est-ce pas la société, au fond, qui fait le crime  en créant la misère, "morsure du pêché"? 


Et suivant le verdict, nous entrons en prison. Une porte de cellule est là, et on peut lire sur elle les marques qu'y ont laissé les prisonniers. C'est surtout cela, au fond, que je retiens de cette salle, malgré la force et la douleur des dessins de Goya, soulignant l'inhumanité des supplices infligés aux condamnés, malgré les plans de prison suivant le projet de Panoptique de Bentham, malgré les photographies et gravures représentant cellules, couloirs de garde, etc. Au fond, ce qui reste, c'est cette porte, sertie de chiffres, de dates, de lamentations. Point d'art ici : juste un vestige, un simple vestige du réel, et cela fait quelque chose ... 
Si le crime est grave, cependant ? Après la prison, nous voilà au pied de l'échafaud. Tableaux, gravures et dessins viennent représenter la peine de mort, et ses divers instruments  :  guillotine, potence, pilori, et jusqu'à la fameuse Chaise Electrique d'Andy Warhol. Par l'image, l'artiste interroge la mise à mort de l'accusé, la remet en cause, il peut tenter également de représenter le drame et l'angoisse du condamné, ou l'absurdité de la machine judiciaire. De cette étape, je garde une forte impression du tableau d'Emile Friant qui sert à illustrer ce court paragraphe : La Peine Capitale. En effet, dans ce tableau, très photographique, le spectateur se trouve au coeur de l'action ; suivant la diagonale formée par le regard du condamné, sur la droite, on aperçoit  la silhouette menaçant de la guillotine, prête, et entre elle et lui - entre elle et nous -, seul lecrucifix brandi par le prêtre ... Un vague retour aux alentours, et l'on discerne, partout, la foule, jusque sur le haut des toits. Ou le drame de la mort érigé en spectacle. 

... A suivre !

samedi 10 avril 2010

Chronique de la violence extraordinaire (I)


La dernière exposition du musée d'Orsay a de quoi marquer les esprits. Plusieurs fois, j'ai vu des airs dégoûtés, des regards qui se détournent, ou des mines, des rires gênés. C'est que Crime et châtiment nous plonge, presque malgré nous, dans les horreurs de la violence quotidienne, et la dureté de sa répression. Nous entrons - salles tendues de noir, tout une atmosphère !

L'exposition s'ouvre sur les représentations du premier criminel de l'humanité : le mythe de Caïn fratricide, représenté par Füssli, Bouguereau, Cabanel ... A sa suite, d'autres crimes originels, entre Oreste dévoré par le remords, esquissé par Bouguereau, Œdipe aveugle face au sphinx - devant lequel je me suis attardée, ou l'imposant Lucifer de Stück, qui m'a beaucoup impressionnée. Larges et sombres ailes repliées, il demeure, assis près d'une flamme bleuâtre - et c'était étrange de contempler ses yeux froids  et  presque soucieux. Près de celui qui apporte la connaissance, autre Prométhée ... En ces temps mythiques et reculés, les châtiments ne relèvent pas encore d'une justice humaine : ce sont les remords et les châtiments divins qui poursuivent les criminels. Pourtant, aux côtés du Caïn de Gustave Moreau, a été accroché le célèbre tableau de Grosz, Caïn ou Hitler en enfer : le réel finit par rattraper le mythe. Pourtant, au bout du couloir, à côté même de ce Lucifer, trône une machine drapée de noir : une guillotine endormie, instrument d'état, main de la justice humaine.

Dieu est mort, ou en pleine désaffection : en tuant, ce n'est peut-être plus tant l'interdit divin que l'homme viole, mais une loi humaine. Aux crimes succède le châtiment, présenté comme égalitaire : en 1791 naît la fameuse guillotine. Nous sommes passés à côté de l'une d'elle, nous l'avons regardée, avec un reste d'effroi et une curiosité un peu malsaine ... Pour moi, c'est un objet d'histoire, un peu étranger, un peu lointain - abstrait, surtout. La voir, tangible, c'était lui donner déjà une autre réalité. La salle suivante s'ouvre justement sur les images et usages de la guillotine - et l'image de la machine appelle le souvenir traumatique des dérives de la Terreur. Environ 20 000 personnes auraient été alors guillotinées - 0, 081 % de la population française. Mais le sentiment d'effroi perdure, et il est certains jours où la guillotine fonctionna des heures durant, abattant les têtes avec une froideur toute industrielle. A ce souvenir se mêlent des représentations, des angoisses nouvelles : le corps acéphale, la tête tranchée hanteront l'imaginaire du XIXème siècle. Que l'on songe au succès, à la résurgence des mythes bibliques de Judith et de Salomé, dans la deuxième moitié du XIXème siècle - ces dernières apparaîtront d'ailleurs, plus loin dans l'exposition. Mais c'est un fait : la tête du condamné intrigue et fascine. De nombreux artistes de l'époque  peignent, observent fragments humains, et têtes de suppliciés : on peut penser à Géricault qui, pour les besoins de son art, s'attache à étudier en détail une "tête de voleur mort à Bicêtre et qu'on lui avait apportée", qu'il aurait conservée "quinze jours sur son toit". On cherche le regard, la dernière expression du mort décapité - tandis que dans les laboratoires, on se livre à des expériences visant à redonner la vie, un instant, à ces têtes détachées de leurs corps. L'avènement de la guillotine inspira les artistes. La salle s'était ouverte sur la représentation de la mort égalitaire, sur la célébration du premier martyr de la révolution, Le Peletier de Saint-Fargeau ; elle s'attardait également sur les représentations plus ou moins fantasmées du meurtre de Marat par Charlotte Corday. Et elle se parsemait aussi - surtout, devrais-je dire, car ce sont elles qui m'ont marquée - de têtes coupées sans regards, d'études d'artistes, comme le fantôme d'un traumatisme, derrière les sursauts de l'histoire ...


Mais la fascination de l'artiste pour le crime dépasse largement l'imagier de la guillotine et de la condamnation à mort. A partir de la période romantique, écrivains et peintres se sont intéressés aux criminels, qui incarnaient alors une forme de société marginale, en dehors, régie par des codes qui lui étaient propres, soit parce qu'ils symbolisaient la force destructrice des sentiments irrationnels, des passions. Ainsi, les portraits de brigands, de sorcières, ainsi l'intérêt porté aux grandes figures de la folie. Les salles suivantes s'ouvrent sur des tableaux de Goya : le peintre tente de représenter les différentes dimensions de la figure du brigand. Dans les premières toiles, extraites d'une série de six panneaux, représentent les exploits d'un père franciscain, parvenu seul à capturer un bandit de grand chemin ; les suivantes , représentent l'attaque de voyageurs par des brigands, et notamment les violences perpétrées contre les femmes - notamment Brigand dépouillant une femme, riche de violence symbolique. A travers ses représentations de hors-la-loi, de cannibales, ses Caprices, ou encore dans Les désastres de la guerre, Goya poursuit une réflexion sur le mal et la violence. D'autres tableaux, notamment de Carolus Durand et de Delacroix traitent également de la figure du brigand - cette fois-ci italien, figure indissociable de l'histoire d'un pays qui se déchire ... A l'image du brigand, faisant fi des lois, répondra celle de la femme fatale, auprès de laquelle je me suis davantage attardée. J'ai découvert alors les expressions de terreur hallucinée de Lady Macbeth peintes par Füssli, ou Muller, l'air effaré et sauvage de La fiancée de Lamermoor, selon Signol  ... Ou encore une Messaline et la Salomé de Gustave Moreau - tableau que je rêvais de voir  vraiment, depuis ma première lecture d'A Rebours ! Ainsi se sera créee tout au long du siècle une mythologie de la femme fatale, castractrice et dangereuse, portée par ses passions :  pour en rester à elle, Salomé a connu de ces transformations. En effet, la petite fille influencée par sa mère, dans le récit biblique s'est muée en ravissante jeune femme, amoureuse éconduite (je pense alors à la pièce d'Oscar Wilde), figure du désir et de la volupté, ou encore jeune artiste vaine et vaniteuse (souvenir de chez Laforgue, cette fois !). Nous passons avec un frisson près d'une Tête de Saint-Jean Baptiste en terre, de Clésinger - quand on songe qu'elle était autrefois en cire ! Et cette partie de l'exposition se clôt sur la figure mourante de la sorcière, à laquelle la science substituera celle de l'hystérique. Pour dernière vision, l'impressionnante Vague de Schwabe. Et le romantisme, le symbolisme s'effacent, pour un brusque retour au réel ...


... A suivre !