samedi 10 avril 2010

Chronique de la violence extraordinaire (I)


La dernière exposition du musée d'Orsay a de quoi marquer les esprits. Plusieurs fois, j'ai vu des airs dégoûtés, des regards qui se détournent, ou des mines, des rires gênés. C'est que Crime et châtiment nous plonge, presque malgré nous, dans les horreurs de la violence quotidienne, et la dureté de sa répression. Nous entrons - salles tendues de noir, tout une atmosphère !

L'exposition s'ouvre sur les représentations du premier criminel de l'humanité : le mythe de Caïn fratricide, représenté par Füssli, Bouguereau, Cabanel ... A sa suite, d'autres crimes originels, entre Oreste dévoré par le remords, esquissé par Bouguereau, Œdipe aveugle face au sphinx - devant lequel je me suis attardée, ou l'imposant Lucifer de Stück, qui m'a beaucoup impressionnée. Larges et sombres ailes repliées, il demeure, assis près d'une flamme bleuâtre - et c'était étrange de contempler ses yeux froids  et  presque soucieux. Près de celui qui apporte la connaissance, autre Prométhée ... En ces temps mythiques et reculés, les châtiments ne relèvent pas encore d'une justice humaine : ce sont les remords et les châtiments divins qui poursuivent les criminels. Pourtant, aux côtés du Caïn de Gustave Moreau, a été accroché le célèbre tableau de Grosz, Caïn ou Hitler en enfer : le réel finit par rattraper le mythe. Pourtant, au bout du couloir, à côté même de ce Lucifer, trône une machine drapée de noir : une guillotine endormie, instrument d'état, main de la justice humaine.

Dieu est mort, ou en pleine désaffection : en tuant, ce n'est peut-être plus tant l'interdit divin que l'homme viole, mais une loi humaine. Aux crimes succède le châtiment, présenté comme égalitaire : en 1791 naît la fameuse guillotine. Nous sommes passés à côté de l'une d'elle, nous l'avons regardée, avec un reste d'effroi et une curiosité un peu malsaine ... Pour moi, c'est un objet d'histoire, un peu étranger, un peu lointain - abstrait, surtout. La voir, tangible, c'était lui donner déjà une autre réalité. La salle suivante s'ouvre justement sur les images et usages de la guillotine - et l'image de la machine appelle le souvenir traumatique des dérives de la Terreur. Environ 20 000 personnes auraient été alors guillotinées - 0, 081 % de la population française. Mais le sentiment d'effroi perdure, et il est certains jours où la guillotine fonctionna des heures durant, abattant les têtes avec une froideur toute industrielle. A ce souvenir se mêlent des représentations, des angoisses nouvelles : le corps acéphale, la tête tranchée hanteront l'imaginaire du XIXème siècle. Que l'on songe au succès, à la résurgence des mythes bibliques de Judith et de Salomé, dans la deuxième moitié du XIXème siècle - ces dernières apparaîtront d'ailleurs, plus loin dans l'exposition. Mais c'est un fait : la tête du condamné intrigue et fascine. De nombreux artistes de l'époque  peignent, observent fragments humains, et têtes de suppliciés : on peut penser à Géricault qui, pour les besoins de son art, s'attache à étudier en détail une "tête de voleur mort à Bicêtre et qu'on lui avait apportée", qu'il aurait conservée "quinze jours sur son toit". On cherche le regard, la dernière expression du mort décapité - tandis que dans les laboratoires, on se livre à des expériences visant à redonner la vie, un instant, à ces têtes détachées de leurs corps. L'avènement de la guillotine inspira les artistes. La salle s'était ouverte sur la représentation de la mort égalitaire, sur la célébration du premier martyr de la révolution, Le Peletier de Saint-Fargeau ; elle s'attardait également sur les représentations plus ou moins fantasmées du meurtre de Marat par Charlotte Corday. Et elle se parsemait aussi - surtout, devrais-je dire, car ce sont elles qui m'ont marquée - de têtes coupées sans regards, d'études d'artistes, comme le fantôme d'un traumatisme, derrière les sursauts de l'histoire ...


Mais la fascination de l'artiste pour le crime dépasse largement l'imagier de la guillotine et de la condamnation à mort. A partir de la période romantique, écrivains et peintres se sont intéressés aux criminels, qui incarnaient alors une forme de société marginale, en dehors, régie par des codes qui lui étaient propres, soit parce qu'ils symbolisaient la force destructrice des sentiments irrationnels, des passions. Ainsi, les portraits de brigands, de sorcières, ainsi l'intérêt porté aux grandes figures de la folie. Les salles suivantes s'ouvrent sur des tableaux de Goya : le peintre tente de représenter les différentes dimensions de la figure du brigand. Dans les premières toiles, extraites d'une série de six panneaux, représentent les exploits d'un père franciscain, parvenu seul à capturer un bandit de grand chemin ; les suivantes , représentent l'attaque de voyageurs par des brigands, et notamment les violences perpétrées contre les femmes - notamment Brigand dépouillant une femme, riche de violence symbolique. A travers ses représentations de hors-la-loi, de cannibales, ses Caprices, ou encore dans Les désastres de la guerre, Goya poursuit une réflexion sur le mal et la violence. D'autres tableaux, notamment de Carolus Durand et de Delacroix traitent également de la figure du brigand - cette fois-ci italien, figure indissociable de l'histoire d'un pays qui se déchire ... A l'image du brigand, faisant fi des lois, répondra celle de la femme fatale, auprès de laquelle je me suis davantage attardée. J'ai découvert alors les expressions de terreur hallucinée de Lady Macbeth peintes par Füssli, ou Muller, l'air effaré et sauvage de La fiancée de Lamermoor, selon Signol  ... Ou encore une Messaline et la Salomé de Gustave Moreau - tableau que je rêvais de voir  vraiment, depuis ma première lecture d'A Rebours ! Ainsi se sera créee tout au long du siècle une mythologie de la femme fatale, castractrice et dangereuse, portée par ses passions :  pour en rester à elle, Salomé a connu de ces transformations. En effet, la petite fille influencée par sa mère, dans le récit biblique s'est muée en ravissante jeune femme, amoureuse éconduite (je pense alors à la pièce d'Oscar Wilde), figure du désir et de la volupté, ou encore jeune artiste vaine et vaniteuse (souvenir de chez Laforgue, cette fois !). Nous passons avec un frisson près d'une Tête de Saint-Jean Baptiste en terre, de Clésinger - quand on songe qu'elle était autrefois en cire ! Et cette partie de l'exposition se clôt sur la figure mourante de la sorcière, à laquelle la science substituera celle de l'hystérique. Pour dernière vision, l'impressionnante Vague de Schwabe. Et le romantisme, le symbolisme s'effacent, pour un brusque retour au réel ...


... A suivre !

2 commentaires:

  1. Ca fait quelques temps que j'ai trouvé cette nouvelle adresse, mais je prends enfin le temps de mettre quelques commentaires.

    Ta présentation de cette exposition est excellente. J'ai eu l'occasion de la voir moi aussi, et je suis heureuse de trouver un résumé aussi complet.

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  2. Je te remercie de tout cœur, Lilly, pour ce commentaire. Malheureusement, cela reste inachevé, car je n'ai rien dit de la dernière partie ... Aurais-je le courage, un jour ... ? J'avoue que j'en doute, mais après tout, les vacances sont pleines de surprises !
    Encore merci et à très bientôt, chez toi ou ici. ^^

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